• Vous autres

    Je vais vous parler en français, parce que vous autres, vous ne connaissez plus ma langue. Et c'est tant mieux. C'est une langue de pauvreté, de fatigue, d'hivers si longs à passer. Vous autres, vous parlez des mots confortables. Je suis heureuse de savoir que mes enfants vivants pourront parler à leurs propres enfants dans ce confort moderne. Ah oui je suis heureuse de savoir ça. Mais je ne m'en rends pas compte. Pour l'instant, je ne sais pas vraiment tout ça. Je ne peux qu'en rêver.
              Pour l'instant, et ce n'est pas un instant, c'est presque une semaine déjà que ça dure, je suis au lit, et je ne supporte plus rien. Plus rien à mes oreilles, mes yeux que je ne peux plus ouvrir, et rien et tant de choses à ce ventre où la douleur commence et revient, après avoir fait le tour de tout mon corps. Une semaine pour me débarrasser de cet enfant qui ne doit pas être. Et tant de doutes. Je suis jeune encore, elles me disent celles du Faux, et j'en aurai d'autres, des gosses. Peut-être. Sans doute. Mais si ça doit faire aussi mal, et même plus, à naître, alors j'en veux pas. Je ne peux pas le dire à Henri, que j'en veux pas. Déjà qu'il ne comprend pas : ça ne peut pas faire si mal. Pas au point de rester si longtemps couchée alors qu'il n'y a personne pour la traite. Seulement celles du Faux pour s'occuper des repas, du linge, du ménage. Il ne peut pas comprendre, alors il marche là, dans la maison vieille, et ses pas me mettent des larmes.
              La maison vieille, elle n'est pas vieille encore, puisqu'on n'a pas construit la neuve. C'est le pauvre Paul qui voudra la construire, la neuve. Mais Paul n'est pas né, il n'est pas mort. Il n'existe pas encore. Ni Rolland, ni la pauvre Nénotte, ni les autres. Aucun de mes dix enfants vivants ou morts. Juste cette douleur à mon ventre. Mon ventre qui devient tout mon corps, mon corps qui s'étire dans cette chambre, au point que marcher sur le sol c'est marcher sur mon ventre. Et la maison vieille est quand même pas bien commode. Le parquet, je voudrais l'arracher et le brûler. Les pas d'Henri dessus me sont insupportables. J'ai mal de partout quand il marche. Je crie mais sort, sort ! Il hausse les épaules, s'assoit près de moi, et commence son livre.
              Henri, il lit tout le temps, et fume. Son haleine chaude met de la buée sur la fenêtre prise dans la glace. Je regarde la glace, et la douleur me ramène encore à moi-même. Je me déteste. Je voudrais me passer de moi, et voir cette glace, je me dirais il fait froid. Mais il fait seulement mal, mal, si mal.

    Extrait de "Vous autres", texte inachevé, février 2005 © Emmanuelle Pagano

  • Commentaires

    1
    Mercredi 20 Décembre 2006 à 17:40
    Rhaaaaaaaa!
    un extrait de culture, putain, ça fait du bien! Merci, Manu, t'es un chou.
    2
    Jeudi 21 Décembre 2006 à 10:06
    rrrrrrrrrrrrrrrrrrrhhhhhhhhhhh
    putain comme tu dis
    3
    Mardi 2 Janvier 2007 à 12:42
    qui êtes-vous ?
    Bonjour, Qui êtes-vous ? Pourquoi ce texte ici (notez, je ne m'en offusque pas du tout, bien au contraire) ? Surtout pourquoi cette photo d'une autre Emmanuelle encore, qui, sauf le prénom, n'a pas tellement de rapport avec le dit texte... (dis, c'est pas toi Ma Lorie quand même ?) Bonne année à vous !
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